TABLE

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Les feux de la Saint-Jean
La quête de la Reine
Le sire Raoul de Créquy
Le Ver montant
Un remède contre la peste au XVIe siècle
Le sire Thomas de Dourier
Le Sabbat
La Comète de 1531
Saint Riquier, à Sorrus
L'héroïne de Bécourt
Scène de la vie municipale au XIVe siècle


Les feux de la Saint-Jean

Les feux allumés la veille de la Saint-Jean et qui d'ailleurs ont succédé afin feux allumés par les païens, sont
aussi anciens que la prédication de l'Évangile. L'usage en devint universel ; aussi Saint Bernard écrit-il que de
son temps il était observé non seulement dans les pays chrétiens, encore chez les Sarrasins et chez les
sectateurs de Mahomet.
Le clergé de Montreuil se rendait jadis processionnellement au pied d'un bûcher composé de fagots rangés
symétriquement autour du mât que couronnait une enseigne représentant les armoiries de la ville ; il le bénissait
et l'allumait, puis s'en retournait au chant du Te Deum. Le peuple dansait une partie de la nuit autour du brasier
et ramassait les charbons éteints pour les conserver religieusement toute l'année ; car c'était, dans sa croyance,
un préservatif assuré contre les maladies et les misères de la vie.
Actuellement les feux de la Saint-Jean ont disparu, emportés par le courant avec tant d'autres traditions
respectables. Les populations de Berck et de quelques villages allument encore le feu de la Saint-Jean ou de la
Saint-Pierre, mais l'époque n'est pas éloignée ou cette ancien usage passera dans le domaine de la légende.




La quête de la Reine

Le premier dimanche de carême voit s'établir à l'angle des rues nombre de petites chapelles bien misérables :
une chaise renversée, un linge plus ou moins blanc, quelques statuettes, n'importe lesquelles, tel est l'inventaire
complet de l'oratoire. Puis des enfants criards poursuivent les passants, une tasse à
la main, disant « A la Reine,
mon bon monsieur, s'il vous plaît. » Voici l'origine de cette coutume huit fois séculaire.
Lorsque Philippe 1er répudia Berthe de Hollande afin d'épouser Bertrade de Montfort, la malheureuse
princesse fut reléguée au château de Montreuil qui faisait partie de son douaire et qui lui servit de prison. Elle y
mourut de chagrin et de misère en 1095. L'infortune de la reine, réduite au. dénuement le plus complet, excita la
compassion des habitants de la ville de Montreuil et des environs, et les enfants s'adressèrent à la charité afin de
procurer quelques soulagements à la souveraine si boine et si divane.
Les quêtes ont survécu à la reine Berthe ; et depuis, l'indigent emplit son escarcelle des dons faits en l'honneur
de l'infortunée reine de France. Sept siècles et demi ont consacré les paroles de ses bienfaiteurs et chaque année,
ici l'enfant, là le pauvre, invoquent le souvenir d'une martyre sacrifiée à la passion... en répétant les couplets
suivants :

Donnez, donnez à notre rane
Qu'al est si boine et si divane
Qu'al fait honneur à tous chés gins!
Pour Diu, donnez-nous du fu
Pour Diu, donnez-nous l'part à Diu.
N"nous fouêtes point tant z'attendre
Car y fouët in si grand frouait,
Ecque min camarade il tremble !
Pour Diu, donnez-nous du fu ;
Pour, Diu, donnez-nous l'part à Diu,

Puis vient le remerciement :

Marci, marci, em' chère dam,
D'ici z'un un incore autant ;
Ecque Diu vous mette in Paradis,
Intre les bras ed' Jésus-Christ.




Le sire Raoul de Créqui

C'était au temps du roi Louis-le-Jeune ; une armée de quatre-vingt mille hommes se levait à la voix de Saint
Bernard pour voler à la défense des saints lieux. Parmi les preux qui s'enrolèrent sous la bannière de la
Croix, on remarquait à son air martial, à sa noble origine, le sire Raoul de Créqui. Son père avait brillé jadis
ait milieu des compagnons de Godefroy de Bouillon et il s'était réjoui à la pensée que le bras d'un Créqui
frapperait encore les mécréants. La pieuse épouse de Raoul, une douce et belle dame du pays de Bretagne,
n'écoutant que les accents de 1'honneur et du devoir, consent à laisser partir le noble chevalier : elle verse des
larmes abondantes lorsque Raoul, lui jurant pour la dernière fois constance et féauté, partage l'anneau nuptial,
en prend une moitié, lui laisse l'autre et s'écrie « Cette moitié de l'anneau qui a été bénit pour notre union, je la
garderai toujours en époux loyal et fidèle, et quand je reviendrai de mon pèlerinage, je vous rapporterai ce
cher gage de notre foi. »
Puis s'adressant à son vieux père, le comte de Ternois : « Cher sire, lui dit-il, pour que mes jours loin de vous
soient heureux, bénissez-moi et que vos vœux et vos prières m'accompagnent par de là les mers. »

Et Raoul s'élance sur son palefroi... il part... et avec lui partent Roger et Godefroi, les plus braves de ses
frères.
Dans l'une des premières rencontres qui eurent lieu entre les soldats de la Croix et les Sarrasins, Raoul
menait sa bannière en avant de l'armée. Son ardeur l'emportant, il s'engage dans un passage étroit, suivi de quelques
lances et se, trouve tout à coup environné d'ennemis qui décochent sur la petite troupe une grêle de flèches. Les deux
frères de Raoul succombent au début de l'action, ses compagnons font des prodiges de valeur, mais ils sont écrasés
par le nombre : les sires de Beaurain, de Brimeu, de Sempy tombent à ses côtés et, toute résistance devenant inutile,
Créqui, épuisé par le sang qui s'échappe de ses blessures, est emmené prisonnier. On le crut mort dans la mêlée et la
nouvelle de son trépas se répandit bientôt jusqu'au manoir de Créqui ; ce qu'apprenant la noble châtelaine, elle keut
(tomba) par terre pameye.
La légende nous représente le vaillant Créqui soumis à l'esclavage le plus odieux : chargé de chaînes,
enfermé dans une tour délabrée, ne recevant chaque matin pour nourriture qu'une écuelle de riz, un morceau de pain
noir et une jatte d'eau.
Son maître venait souvent lui parler, le pressait de renier sa religion, et, sur son refus persévérant, il le faisait battre
d'une longue jusqu'à ce que le sang ruisselât sur tout son corps. Ce triste état se prolongea dix années pendant
lesquelles la foi du pieux ne se démentit pas un instant.
Une nuit qu'il s'était endormi en proie aux plus sinistres pensées, après avoir invoqué la benoite vierge avec
plus de dévotion peut-être que de coutume, il lui sembla qu'une dame se penchait doucement sur son grabat et qu'elle
faisait tomber ses entraves. La secousse l'éveilla. Oh surprise ! oh prodige ! ses mains, ses pieds sont libres! Il se
lève, il marche au milieu d'un bois... Une main bénie l'a donc délivré, mais où se trouve-t-il ? Mille réflexions diverses
assiègent son esprit lorsqu'au détour d'un sentier, il rencontre un bûcheron et lui parle le langage de Syrie. Celui-ci de
s'enfuir épouvanté, à la vue d'un spectre de maigreur et en entendait une langue qu'il ne connaît pas, mais Raoul le
suit et ne tarde pas à apprendre de lui qu'il est transporté non loin du manoir de ses pères !
Lorsqu'il est revenu de son premier étonnement « Le vieux sire de Créqui, la dame de Céans, son jeune fils
sont-ils encore en
vie, demande-t-il avec anxiété ?
Hélas, répond le bûcheron, le vieux sire est trépassé dans la douleur, pleurant la mort de ses trois fils et la
châtelaine, que Dieu garde, demeurée longtemps inconsolable, mais vaincue par les sollicitations de son père,
va contracter aujourd'hui même, une nouvelle union avec le sire de Renti... il y aura au château grande et jolie
fête,... on y fera largesse et assurément, continue-t-il, mon pauvre homme, vous y recevrez une honnête
aumône... »
L'inconnu, profondément émotionné par ces révélations, cheminait en compagnie du bûcheron ; bientôt il
reconnaît les abords du château, il entend les cris de joie, les Noëls qui annoncent la fête. Le voici au seuil de son
habitation... il aperçoit son épouse, son Adèle parée de ses plus beaux atours... il se précipite à ses pieds ! «
Arrêtez, je vous en conjure, je suis votre Raoul ! Regardez-moi et sous cette misère qui m'accable, reconnaissez
votre époux ! Les malheurs, le chagrin de vivre loin de vous ont défiguré mes traits, mais rien n'a pu altérer mon
amour. » Puis, il lui montre le gage de leur union, la moitié de l'anneau. Adèle n'a plus la force de lui tendre la main
et de lui rendre l'autre moitié qu'elle a toujours portée, elle s'évanouit... le chevalier la couvre de baisers et de larmes
de joie !
Le seigneur de Renti n'en peut croire ses yeux. « Mon cher Créqui, s'écrit-il, en proie à une émotion
indescriptible, je crois avoir mérité l'estime de votre épouse, je la remets dans vos bras ; souffrez tous deux que je
reste votre ami le plus fidèle ; la fête est prête, c'est toujours mon bonheur que nous allons célébrer, puisque c'est le
bonheur du meilleur de mes compagnons d'enfance. »
L'heureux époux d'Adèle fait asseoir son rival au festin et tandis qu'il attendait tous les assistants au récit
de ses infortunes, les vassaux répètent Noël, Noël ! ! ! La tradition raconte que Raoul et Adèle coulèrent
encore de longs jours et qu'ils moururent dans un âge très avancé, laissant une postérité qui ne dégénéra pas
de ses aïeux.

Le Ver montant

Chaque année, on célébrait à Montreuil, la veille de la Saint-Jean-Baptiste, une fête très singulière, c'est la fête
du Ver montant qui a laissé son nom à la rue où se trouvait la principale entrée de l'abbaye de Sainte-
Austreberthe, et dont il faut rechercher l'origine dans le légendaire de cette sainte.
Austreberthe, instituée abbesse de Pavilly en Normandie, par saint Philbert, s'était engagée à blanchir le linge
d'église de l'abbaye de Jumièges, et toutes les fois qu'elle avait rempli sa pieuse obligation, on chargeait ce linge sur
un âne qui suivait régulièrement, sans jamais se détourner le sentier qui reliait les deux monastères. Le docile
animal s'acquitta longtemps de sa tâche avec une ponctualité exemplaire, mais certain jour, un loup se jette sur lui et
l'étrangle ! Sainte Austreberthe, avertie par l'inspiration divine, au moment même ou son pauvre serviteur expirait
sous la dent de la bête cruelle, se porte à sa rencontre, et lui ordonne de se substituer à la victime. A l'instant, le
loup devenu agneau se courbe sous le fardeau, et on put le voir pendant des années remplacer l'âne dans son
service domestique.
Il s'établit à Montreuil, au commencement du XIe siècle, une confrérie purement religieuse, à l'origine, à demi
profane dans la suite ; le président de la confrérie du Ver montant s'intitulait le loup ; il revêtait un costume
particulier, dont on ignore le détail, qui se distinguait par l'empreinte d'une tête de loup aux yeux rouges et à la
gueule ensanglantée. Le loup, escorté de ses sujets, c'est à dire tous de les confrères, se rendait
processionnellement, la veille de la Saint-Jean, à la porte de l'abbaye de Sainte-Austreberthe. L'abbesse et
l'aumônier se présentaient au seuil de l'église, le bénissaient, lui et sa troupe, au chant des hymnes et des psaumes.
Un grand repas réunissait tous les confrères, et à l'issue du festin, après l'élection du Loup de l'année suivante, on
allait danser la première ronde autour du feu de la Saint-Jean.
Comme toutes les institutions de ce genre, la fête du Ver montant dégénéra complètement : la ronde du loup devint
très immorale, et la confrérie tomba dans l'oubli au milieu du seizième siècle.

Un remède contre la peste au XVIe siècle

On a beaucoup écrit sur les pestes qui désolèrent si fréquemment la Picardie ; celle de 1596 dépeupla la ville de
Montreuil : pas un prêtre, un médecin ne furent épargnés par le fléau qui moissonna les trois cinquièmes de la
population. La terreur devint si grande que les survivants s'enfuirent, laissant les maisons absolument désertes
pendant plusieurs années. Quel remède opposait-on à la contagion ? Nous croyons rêver en parcourant le fameux
Traité de la peste composé dans les premières années du XVIIe siècle par un célèbre médecin de Laon nommé J.
Cottin. « Prenez, écrit-il, de la poudre de crapeau bruslé avec quelque poudre cordiale ; on l'appliquera à la région
du cœur ou sous l'aisselle senestre (gauche) ; toutefois, à cause que tout poison est ennemi du cœur, ce remède
nous doibt être suspect et principalement à ceux qui ont le cœur délicat et rare, et faudroit se garder de l'approcher
de trop près ou après avoir sué, les pores du cuir estant encore ouverts. » Est-ce possible qu'un médecin qui
passait de son temps pour être exact, habile surtout à surprendre la nature sur le fait, (c'est l'éditeur de
l'édition de 1721 qui le dit) est-ce donc possible que ce médecin prescrivit un pareil traitement et qu'il pût ajouter :
« Percez une aveline ou grosse noisette, en tirez le noyau et la remplissez de vif argent, et, l'ayant bouchée, la
pendez au col, car on tient que ce remède ainsi porté sur la région du cœur, peut nous exemptera de la peste ! »
Avec les préceptes de cette science empirique, nous ne nous étonnerons plus que la pestilence ait, à certaines
époques, absolument dépeuplé nos bonnes villes du Nord, et nous ne nous lasserons pas d'admirer la plaisante
naïveté de nos ancêtres qui pouvaient sérieusement accepter de pareilles ordonnances.

Le sire Thomas de Dourier

Personne n'ignore que Saint Thomas de Cantorbéry était honoré d'un culte spécial en l'église des moines
Prémontrés de Dommartin ou ]'on conservait son rocher ; le bruit des merveilles obtenues par l'attouchement du
précieux vêtement attirait de nombreux pèlerins. Une châtelaine de Dourier, dame Aquiline, épouse de Hugues
Kiéret, ayant mis au monde un petit monstre à peine viable, elle eut la pensée de recourir à la puissante intercession
du saint archevêque. L'une de ses suivantes et la nourrice portent le malheureux enfant à l'autel du martyr, et tandis
quelles sont prosternées en oraison, il commence «  à prendre forme humaine et veint tost après parfait de tous ses
membres. «
L'allégresse fut grande au château de Dourier. La pieuse mère distribua d'abondantes aumônes en actions
de grâces, son fils reçut au baptême le nom de Thomas et l'abbé de Dommartin accepta d'en être le parrain. La
chambre où il était né conserva longtemps la désignation de la chambre de Dommartin. Lorsqu'il fut parvenu à l'âge
de sept ans, Aquiline le fit monter sur le meilleur coursier de ses écuries et elle commanda d'exécuter en cire le
cheval et l'enfant de grandeur naturelle pour les offrir à l'autel du saint. Le jeune seigneur de Dourier combattit en
Palestine et mourut peu de jours après son retour !


Le Sabbat

Il existe çà et là dans les environs de Montreuil, dans les bois principalement, des fosses que la croyance
populaire prétend avoir été jadis le rendez-vous des fées ; oui, des fées qui venaient y danser leurs rondes
joyeuses ! Quelle peut être l'origine de ces traditions bizarres ? Nous pensons qu'il faut y voir le souvenir des
Diableries fort en usage au moyen-âge dans les provinces Picardes. Les petites Diableries étaient
représentées par deux diables ; quatre diables composaient une grande Diablerie et faisaient un vacarme si
effrayant que le diable à quatre est devenu un proverbe. Ils poussaient des hurlements, jetaient du feu par la
bouche, brandissaient de grands bâtons noirs d'où s'élançaient de la fumée et des flammes et ils se livraient, à la
faveur de masques grotesques, à des excentricités sans nom.
Les diableries se jouaient au milieu d'une affluence considérable de peuple, mais ces spectacles, aussi appelés
les sabbats, ne tardèrent pas à dégénérer en licence. Ne trouvant pas dans les maisons, où on les pratiqua
d'abord, d'espace suffisant, les acteurs prirent le parti de s'assembler dans les bois, dans les vergers.
Les sabbats se passaient la nuit ; les choses en vinrent au point que l'on eut à déplorer les excès les plus
regrettables : le vol, le blasphème, le libertinage firent parti du programme de ces scènes impies dans lesquelles la
religion fut indignement profanée.
Ici le nom de Chevaucheurs de Ramons, là celui de Chevaucheurs d'Ecouvettes désignaient les individus
qui fréquentaient le sabbat parce que chacun des sorciers cavalcadait sur un manche à balai pendant la mystérieuse
cérémonie.
D'ailleurs nos ancêtres voyaient volontiers l'intervention du diable dans les rondes du sabbat ; le président, qui
figurait le prince des ténèbres, était revêtu tantôt d'une peau de bouc, tantôt d'un grand manteau noir. Quelquefois
il siégeait sous le déguisement d'un barbet : boire ou barbet, il ouvrait la séance par un discours adressé aux
assistants. Puis les danses se prolongeaient très-avant dans la nuit ; aussi les sabbats se tenaient-ils d'ordinaire la
veille des fêtes, afin que les ouvriers ou gens du peuple qui y prenaient part eussent le temps de goûter le lendemain
le repos dont ils avaient besoin pour, se préparer à un nouveau travail.

La comète de 1531

La comète qui parut en 1531 impressionna beaucoup les populations ; chaque soir, s'il faut croire une ancienne
chronique, les habitants de Montreuil se réunissaient en foule sur la place de la ville, afin de s'assurer que le
Dragon portant l'ire (la colère) du Seigneur, ne laissait pas tomber de feu sur leur cité. On n'osait plus parcourir
la route d'Abbeville pendent la nuit, parce que le peuple croyait que le dragon avait son repaire dans les bois du
Puits-Béraut ! Très forts en astronomie nos bons aïeux ! !


Saint Riquier à Sorrus

Un soir d'hiver, saint Riquier, se rendant en Angleterre par le port de Quentovic, s'arrête à Sorrus et se présente à
la porte de Sorrusse, l'épouse de Frumer, comte de Boulogne, qui était dame de ce lieu, afin de lui demander
l'hospitalité pour lui et pour ses compagnons. Sorrusse refusa de recevoir des inconnus à une heure aussi avancée,
et le saint s'enveloppa dans son manteau et s'étendit avec résignation clans un fossé. Or, il neigea abondamment
durant la nuit et Dieu permit que la place qu'il occupait fût préservée de la neige. Sorrusse, à son réveil est instruite
de cette circonstance extraordinaire ; elle reconnaît la puissance du Seigneur et invite le saint homme à franchir le
seuil de sa demeure. Celui-ci consentit à s'y arrêter un instant, et, afin de laisser un souvenir de son passage, il se
mit en prière, frappa le sol du pied et fit sourdre une source limpide qui subsista à travers les siècles. Malbrancq
raconte qu'un chêne, sous lequel saint Riquier s'était reposé, fut longtemps l'objet de la vénération publique ; il
ajoute qu'un seigneur l'ayant fait abattre, on y trouva incrustée l'image de l'illustre abbé de Centule.

L'héroïne de Bécourt

Une déplorable licence régnait dans les armées du roi Henri III : un jour le commandant d'un détachement
cantonné à Bécourt étant logé chez le laboureur Jean Millet, voulut séduire sa fille, jeune personne âgée de seize
ans et remarquablement belle. N'ayant pu réussir dans ce coupable dessein, il exigea du père qu'il lui accordât sa
main : le brave paysan s'y refusa. «  Apprends, coquin, s'écrie Dupont (c'est le nom du commandant) apprends
que je te fais beaucoup d'honneur et que j'obtiendrai par la force ce que tu as l'audace de me refuser ! »
La jeune fille accourt au bruit ; les soldats s'en emparent et l'obligent à s'asseoir à demi vêtue à la table de leur
officier ; celle-ci profitant du moment où il détourne la tête pour donner un ordre, saisit un couteau, le lui enfonce
dans le cœur et l'étend raide mort. Puis elle s'échappe et avertit ses parents de pourvoir à leur sûreté, tandis que
les hommes d'armes, revenus de leur surprise, s'emparent de la généreuse héroïne, l'attachent à un arbre et la
frappent à coups doublés. « Le Ciel qui m'a permis de venger mon honneur ne laissera pas vos forfaits impunis,
s'écria-t-elle avant d'expirer ! » Effectivement, Jean Millet ameuta les habitants de Bécourt qui se saisirent des
assassins de la Lucrèce moderne, et pas un de ces misérables n'échappa à leurs représailles.


Scène de la vie municipale au XIVe siècle


Assez de légendes, bien que les légendes aient du bon ; interrogeons l'histoire d'une abbaye célèbre qui fut
l'origine de la ville de Montreuil et pénétrons dans la vie intime des moines de Saint-Sauve, pour y chercher un fait
curieux qui nous révélera la simplicité des mœurs au quatorzième siècle. C'était, croyons-nous, en l'année 1366 : les
religieux et l'Echevinage se plaignaient de torts réciproques : le sergent de l'abbé avait été injurié dans l'exercice de
ses fonctions par les officiers du mayeur, et celui-ci accusait deux moines d'avoir proféré des paroles blessantes à
son égard.
On convint qu'il y aurait réparation solennelle de part et d'autre ; voici comment :
Un jour de procession générale, le mayeur et les échevins partirent de 1'hôtel de la Fleur de lys, portant chacun
un cierge à la main, et ils se rendirent à l'église de Saint-Sauve. L'abbé vint à leur rencontre, revêtu de ses
ornements pontificaux, et reçut leurs excuses en ces termes « Monsieur1'abbé, vous vous êtes tenu malcontent de
nous pour aucunes paroles injurieuses que vous dites par nous avoir été dites à aucuns de vos compagnons
religieux et à vos gardiens, en la rivière de Canche comme ailleurs ; nous vous prions dévotement de cœur
et humblement, en l'honneur de Dieu et de l'Église, qu'il vous plaise de nous le pardonner, et, en signe de vraie
humilité et damende à Dieu et à l'église, nous offrons ces cierges à l'église et à vous. »
L'abbé répondit :
« Beau seigneur, nous sommes touchés de la bonne dévotion, humilité et contrition que nous voyons en vous, et
pour ce, en 1'honneur de Dieu et de la sainte Église, de bon cœur nous vous les pardonnons. »
A leur tour, les magistrats municipaux furent admis dans la chambre abbatiale et reçurent l'amende honorable de
deux moines qui leur avaient manqué de respect :
«Sire maire et vous échevins, dirent-ils humblement, vous vous tenez malcontents de nous pour aucunes des
paroles injurieuses que vous dites nous avoir dites de vous, plaise vous savoir élue nous ignorons en avoir dites
qui ne soient à votre honneur, car nous vous tenons pour prud'hommes et loyaux. « 
Puis les magistrats s'en furent en paix avec les religieux de Saint-Sauve, jusqu'à ce qu'une nouvelle occasion, et les
occasions ne manquent pas, vint troubler la bonne harmonie entre les pouvoirs rivaux du mayeur et de l'abbé.
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Si vous désirez de plus amples renseignements sur l'histoire du "Ver montant" ou "Loup
ver", je vous conseille vivement d'aller visiter le remarquable site de Laurent Quevilly sur
l'histoire de Yainville, porte de la presqu'ile de Jumièges, en cliquant sur le blason ci-dessous :
Dernière modification de cette page : 21/10/03