ASSOCIATION FRANÇAISE
POUR L'AVANCEMENT DES SCIENCES

Fusionnée avec

L'ASSOCIATION SCIENTIFIQUE DE FRANCE

(Fondée par Le Verrier en 1864)


CONGRES DE BOULOGNE-sur-MER - 1899




M. Georges de LHOMEL
Membre associé correspondant national des Antiquaires de France




LES POTIERS DE MONTREUIL-SUR-MER


— Séance du 19 Septembre

La communication que j'ai l'honneur de vous faire sera très courte.
J'ai voulu seulement revendiquer pour la ville de Montreuil-sur-Mer l'honneur d'avoir eu des potiers de terre,
artistes d'une certaine vaIeur et qui ne doivent pas être confondus avec les potiers de la commune de Sorrus, ce
qui a été fait jusqu'ici (1).
Montreuil, comme vous le savez, était, au Moyen Age, un des centres commerciaux les plus considérables de la
France.
Les guerres continuelles dont elle a été le théâtre et sa situation géographique lui ont fait perdre progressivement
la place importante qu'elle occupait. Sa ruine par les Impériaux en 1537 lui porta un coup redoutable, mais ne put
l'anéantir comme la malheureuse ville de Thérouanne. Peu de temps après ce désastre, Montreuil devait se relever
et dés 1538, soutenue par les privilèges des Rois, nous retrouvons ses commerçants réinstallés dans ses murs.
Parmi les industries qui y vivaient se trouvait celle des potiers, qui, croyons-nous, devaient faire extraire des
wattines de Sorrus, la terre servant à leur fabrication. Cne attestation donnée en 1722 devant notaires par les
principaux habitants de cette commune porte que l'extraction de la terre s'y faisait depuis plus de deux siècles.
Les Archives de l'Hôtel-Dieu mentionnent Jehan Mas, potier de terre à Montreuil, le 21 février 1533, et les
minutes des notaires de Montreuil qui ont été conservées nous apprennent qu'en 1556 Pierre Harlé y exerçait la
même profession (2). Après sa mort, sa femme, Jacqueline Thonnoire, continua son industrie et son fils Jacques
devait lui succéder en 1589 (3). D'ailleurs, à partir de 1556 nous trouvons plusieurs noms de potiers:
Jacques et Nicolas du Crocq dont la descendance devait maintenir la même industrie à Montreuil et à Hucqueliers
(4) presque jusqu'à la Révolution.
Nicolas du Crocq (5) demeurait dans une maison près du rempart. Cette maison était « amazée à l'usage
d'ouroir de potier de terre et tenait àl'ouroir de Jehenneton Chenel, le 15 décembre 1569.»
Puis en 1576 Jean Gressier, Guillaume Régnier et Jean Cauchois. Ce dernier avait « une maison, tenement, court
et jardin séant en cette dite ville de Montroeuil, appelée le Cul-Durant et où était assis son four à pots contenant
en longueur 40 pieds ou environ et de largeur 48 pieds ou environ. » Jean Cauchois était « submis et obligé
advertir le propriétaire de sa maison chacune fois qu'il ôstait et deffournait sa poterie hors de son four et chacune
fois qu'il chauffait son four. »
Au XVIIe siècle nous trouvons comme potiers de terre: Nicolas Boucher 1600, Jehan Hannocq 1628 (6),
François Doret 1626 (7), Marcq Pellet 1639 (8), Adrien Dézérable 1637, Jacques Doret 1637, Robert et
Nîcolas du Crocq 1640 (9), Anthoine Vuaret, 1640 (10), Jehan Bailleu 1648, Pierre Boully 1648 (11), Claude
Bailleu 1654 (12), Philîppe Carbonnier 1670 (13), Jacques Mauger 1675 (14), Pierre Dèsérable 1693, etc. etc.
Malgré ces noms si nombreux de potiers, nous ne connaissons aucune pièce pouvant être attribuée d'une façon
certaine à l'un d'eux jusqu'en 1626. La première pièce signée d'un fabricant montreuillois est celle de François
Doret, à cette dernière date.
C'est un grand vase à rafraîchir l'eau, provenant de l'abbaye de Longvilliers et qui porte l'inscription suivante: «
Faict par moi Franc. Doret 1626. — Claude Convenât. » Il appartient à M. Souquet, d'Etaples; il se trouvait à
l'exposition rétrospective de Montreuil, en 1896.
Mais à partir de 1662, nous marchons avec des preuves évidentes, puisque tous les plats dont nous allons parler
sont signés par un artiste montreuillois du nom de Boully (15). Fils d'un potier de Montreuil, Pierre Boully, il
continua cette industrie jusqu'en 1681, date de sa mort. Nous avons trouvé, dans les registres de la paroisse N.-
D. de Montreuil, un très grand nombre d'actes dans lesquels il est qualifié potier de terre.
Nous ne parlerons, dans cette courte communication, que des plats signés par lui ou de ceux que nous voulons lui
attribuer.
Le premier porte la date de 1668, il nous appartient. M. Wignier en a donné une très fidèle reproduction dans
son, livre intitulé: les Poteries vernissées de l'ancien Ponthieu. Ce plat d'un diamètre de 0m46 représente au
centre un homme et une femme tenant trois fleurs à la main. Ils sont précédés par un âne du nom de Gilles et
suivis par deux jeunes filles d'âges différents. Aux pieds de l'homme se trouve la mention suivante Jean Féron et
ses filles dont l'une s'appelle Anne. Sous les pieds de l'âne on lit: F. par G. Bouli (fait par G. Bouli); et sous cette
inscription: Zenne Berte (16) 1663. Nous avons recherché dans les registres de catholicité la famille Féron et
nous l'avons retrouvée habitant la paroisse N.-D. Jehan Féron, représenté sur le plat, était lardier (charcutier) à
Montreuil où il avait épousé Marguerite Alis. De cette union étaient nés plusieurs enfants, entre autres Anne,
représentée par l'artiste.
Le deuxième plat se trouve à Rollencourt. Fait, en 1666, dans l'atelier de Boully (17), il représente ce potier ainsi
que sa femme, Nicolle Lièvre ou Le Lièvre, qu'il avait épousée le 22 juin 1664, dans l'église N.-D.
C'est Jean Mancier, un de ses ouvriers qui a dû faire le plat comme celui de sainte Catherine, patronne des
potiers, et qui se trouve aux environs de Montreuil. Il a été décrit dans le livre si intéressant de M. Wignier.
Les dessins, les émaux et la couleur de la terre sont identiques. Il est impossible d'admettre, comme M. Wignier le
dit dans son ouvrage, que ce dernier plat ait été fait ext 1600 puiqu'il est absolument pareil à celui exécuté en
1666.
Du reste, bien que l'inscription du plat de sainte Catherine soit en partie illisible, il est facile d'y voir la date de
1662 que nous devons admettre jusqu'à preuve contraire.
Le troisième plat rait par Boully est certainement le plus intéressant; nous le citons en dernier lieu à cause de sa
date qui est celle de 1680. Il se trouve au musée de Saint-Pol et grâce à l'obligeance de M. Troude, greffier du
Tribunal de cette ville, nous pouvons vous en soumettre une photographie.
C'est un grand plat de 0m46cm environ et certainement le plus beau que nous connaissions. Nous le désignons
sous le nom de plat au Calvaire. Il représente au centre une croix à laquelle est attaché le Christ; de chaque côté
de la Croix se trouvent deux personnages que nous croyons être la sainte Vierge et saint Jean l'évangéliste. Pour
ce plat, nul doute, car sous le sujet principal il porte la mention: « Faict à Monstroeuil par Gabriel Boulli, 1680 ».
L'industrie de la poterie était encore florissante à Montreuil jusqu'à la fin du siècle dernier; elle y était représentée
par Charles Bailicu (18), Pierre Désérable (19), Nicolas Carpentier (20), Marlin Plet (21), Jacques Postel (22),
Nicolas du Crocq (23), Jean-Alexis Postel (24), Louis Désérable (25),la veuve Dubuquoy (26), Louis Postel
(27), Michel-André Braquehais 1785 (28), etc.
De cet exposé, il est donc établi que dès le XVIe siècle, des potiers existaient à Montreuil, qu'ils y avaient des
ateliers et des fours et que c'est dans cette ville que les plus beaux plats, attribués par erreur à Sorrus, ont été faits
en entier par des artistes et des fabricants montreuillois.

NOTES :

(1) En dehors de Montreuil et de Sorrus, nous avons trouvé qualifiés potiers de terre, le 13 juin 1576, Guillaume le
Roy, à Neuville ; Charles de Caubert, mari de Nicolle Garson, les 7 novembre 1646 ; et 10 février 1654 à Verton
Laurens du Manoir, époux de Marye du Rieux, à Ecuires en 1668; Nicolas Pecqueur, à Courteville, le 28 avril
1708, etc., (min. des not.)
(2)Nous devons à l'obligeance de M. Roger Rodière les noms de Pierre Harlé, Jacqueline Thonnoire, Jean
Gressier, Guillaume Regnier et Jehan Cauchois.
(3)Vers I580, l'imposition des poteryes et batteryes était « baillée à ferme à Pierre Lescrit pour 8 livres parisis dix
sols », payable en juin, juillet, août et septembre (min. des not.).
(4)Nicolas du Crocq est potier de terre à Hucqueliers, le 27 septembre 1654 (min. des not.).
(5) Nicoles du Crocq, marchand potier de terre, demeurant à Montreuil, vend le 13 septembre 1576, par-devant
Ducay, notaire dans cette ville « une maison, court, jardin, lieu, pourpris et tenement séant à Monstroeuil, près les
poteryes, tenant d'une liste à une maison nommée la Mandelette, d'autre liste et d'un bout et derrière aud. du Crocq
et y tenant sur le flégard occupé pour le comme appartenant à Sanson de Thiennes, pour la somme de 72 sols
tournois de rente. (Min. des not.)
(6) 30 décembre 1628. Il avait épousé Wlgance Brusset (min. des not). et demeurait au-dessous de leglise Saint-
Jacques.
(7) 8 nov. 1626. Contrat de mariage de Jagmin Nicquet, fils de Gilles Nicquet, avec Toussaine Doret fille de
François, potier de terre, et de Jehanne Legrand. (min. des not.).
(8) Registre dota paroisse N.-D. Marcq Pellet, potier de terre, mari de Péronne Cocquelin.
(9) Min. des not.
(10) Anthoine Vuaret, mari de Marguerite Lesnel, le 16 mai 1634. (min. de Patté, notaire).
(11) Min. des not.
(12) Min. des not. Il est qualifié potier de terre ainsi que Jehan flaillen, les 18 mars et 5 mai 1648.
(13) Le 20 février 1672, il avait épousé Adrienne Debreuil. On trouve le 23 septembre 1677, Anthoine Liebron,
demeurant à Sorrus, qui vend une maison, etc., contenant 33 verges environ, tenant aux Lafontan et à Philippe
Carbonnier, maître potier de terre à Sorrus. (min. de Pasquier, notaire). C'est peut-être le même potier que celui de
Montreuil, qu'il aurait quitté pour habiter Sorrus.
(14) Jacques Mauger, encore maître potier de terre à Montreuil, le 30 novembre 1 677, fait construire une maison à
Sorrus en 1673. Marié à Gabrielle filou, il habitait dans cette dernière commune le 12 août 1679, une maison, avec
chambre, court, jardin, lieex, pourpriset lenement contenant une mesure Du environ, tenant d'une liste à François
Deogardins, d'autre liste aux héritiers Pierre Mille et d'autre bout au flégard (Arch. de famille).
(15) Peut-être la famille Bouhly était-elle originaire d'Abbeville, car nous trouvons Nicolas Boully, marchand, et
Jacques Boully, demeurant dans celle ville (paroisse Saint-Gilles) le premier en 1393 et le second en 1602.
(16) On trouve dans les registres de la paroisse N.-D., Jean Berthe, maître maçon, mari de Marie Thorel en 1660.
(17) Il avait épousé en février ou mars 1633, Wlgance Gonlier. il s'est remarié le 22 juin 1664. son acte de mariage
est ainsi conçu « le vingt-deuxième juin 1664 après les proclamations des trois bans et astres solennités requises,
Gabriel Boully, potier, de la paroisse de N-fl. de Montreuil, y a pris femme Nicolle Le Lièvre de la même paroisse
en présence de Me Louis de Calonne, prestre curé de N-D. et Louis Fournier diacre, Parmentier, beau-frère du dit
Boully, Pierre Le Lièvre, oncle de la dite Nicolle »
(18) En 1721, reg. de la paroisse N.-D.; Claude Bailleu, un de ses ancêtres, avait épousé vers 1616 Marie
Désérable (min. des not.).
(19) Le 13 décembre 1722, il avait épousé Jeanne Leselle (min, de Desprez, notaire). A partir de la fin du XVIe
siècle, la famille Désérable habitait Montreuil. Un de ses membres, Nicolas Désérable, prévôt de la gueude, teste le
3 septembre 1384. (min. des not.) Un Pierre Désérable était à Sorrus en 1588 (id).
(20) Le 3 juin 1738 (min. des not.).
(21) État des maîtrises vendues depuis le 1 Janvier 1733 jusqu'au 31 décembre 1736. Il était encore potier le 9
janvier 1769. (Dans cet état il est taxé à la somme de 43 liv. 16 sols.)
(22) Min. des not.
(23) En 1743 (min, de Cailleux, notaire).
(24) Jean-Alexis Postel paie la maîtrise de potier de terre, le 11 mai 1740. Il verse pour finances, principal, frais de
quittance et sceaux 43 livres 15 sols. (Etat des maîtrises vendues depuis janvier 1740 jusqu'au dernier jour de juillet
1743.
(25) Archives départementales du Pas-de-calais.
(26) Min. des not.
(27) C'est de son atelier qu'est sortie une faîtière fleurdelysée provenant de la ferme du Ménage d'Alette et exposée
par M. l'abbé Thobois is l'Exposition retrospective. uette faîsière portait l'inscription suivante 1773, fait à Montroeuil
par Louis Postel.
(28) Le 3 juillet 1785 (Arch. dép. du Pas-de-Calais, Fonds Saint-Firmin).
Retour à la page d'accueil
Montreuil-sur-Mer : Retour haut de page d'index
Retour en haut de la page
Retour à la page "Textes Montreuil"
Dernière modification de cette page : 05/04/03