MONTREUIL-SUR-MER

LA POLICE DE LA POISSONNERIE
AU XVIIIe SIÈCLE



Dans leur audience du 23 mars 1724, les maïeur et échevins de Montreuil, sur les réquisitions du
procureur du Roi Louis Boudou, venaient de condamner la femme de François Jolly, Nicole Libersat,
revendeuse de poisson, à 3 livres parisis d'amende pour avoir « exposé et vendu du poisson gasté et capable
de causer des maladies », ainsi qu'il résultait d'un procès-verbal dressé la veille par Jacques Paumier et Michel
Clauet, égards cuisiniers, et aux dépens liquidés à 60 sous, dont 40 sous pour la vacation desdits égards, 16
sous pour le transport du poisson à la rivière par Claude Bertolle, sergent à verges, et Marc Troude, sergent
brément, et 4 sous pour l'assignation et son enregistrement, lorsque la femme Libersat survenant en ce
moment, déclara que, si elle était répréhensible, « çà esté de la faute du matelot qui n'a pas voulu permettre de
renverser le poisson pour scavoir s'il estoit bon et qu'il s'est trouvé gasté au fond du pagnier ». Les maïeur et
échevins, pour cette fois, prenant en considération cette excuse, levèrent l'amende. Mais à l'instant le
procureur du Roi représenta « que la conduite que tiennent celles qui se meslent de revendre le poisson, tant
par rapport à ce qui regarde leur salut que l'intérest publicq, n'est pas tolérable, tant par les injures qu'elles se
profèrent les unes contre les autres, contre même leurs réputations, que par l'augmentation du prix du poisson
qu'elles occasionnent contre les anciens règlemens; requérant que, conformément aux anciens règlemens de la
ville, il soit fait deffenses à toutes personnes de faire la profession de revenderesses que préalablement elles ne
soient agréées et [n'aient] prêté serment sur les statuts qu'il est nécessaire de faire à ce corps, afin de réformer,
s'il est possible, un mal si préjudiciable au bien publicq. A laquelle représentation ayant esgard, nous faisons
deffenses à toutes personnes de revendre du poisson si elles ne sont reçues et admises à le faire; pourquoy
elles seront tenues de présenter leur requeste, duquel jour elles acquierront les places qui seront marquées
dans la poissonnerie, pour l'ordre qui y doit estre tenu; et notre ordonnance n'aura lieu qu'à commencer au
premier avril prochain afin, pendant ce délay, pouvoir dresser un règlement sur les anciens qui puisse une fois
establir un ordre stable et avantageux au bien publicq, ce qui sera lu, publié en poissonnerie. »
A la suite de cette ordonnance, publiée le lendemain par le sergent à verges Claude Bertolle « sur la place
de la Poissonnerie, les poissonniers assemblés au son du tambour », le 27 mars, les maïeur et échevins
rédigèrent ces

STATUTS

Du 27e mars 1724, par devant messieurs les Mayeur et Échevins de cette ville de Montreuil estant
assemblés à l'hostel de ville en exécution de notre ordonnance rendue le 23 de ce mois sur la remontrance du
procureur du Roy de la ville au défaut du procureur du Roi de la Police au sujet de la Poissonnerie. Après
avoir examiné les anciens règlemens de 1419 ; interrogé les matelots des environs de cette ville qui apportent
ordinairement du poisson frais; nous avons recognu que la rareté et cherté est occasionnée par la manière dure,
violente et injuste d'aucunes revenderesses et de l'inexécution des anciens et nouveaux règlemens, s'emparant
du poisson en arrivant sans laisser la liberté aux matelots de le vendre en détail ny aux autres revenderesses de
le marchander; leur prenant la plupart chacun un poisson chaque fois qu'ils marchandent; ne les payant que
quand elles veulent; leur retenant très souvent quelque chose sur le prix convenu, ce qui les dégoutoit d'en
apporter; aucunes des revenderesses se chargeant de beaucoup de poissons, ou pour le rendre plus rare, ou le
garder chez elles, ou pour oster aux autres la liberté d'en avoir; jettant sur le marché des unes et des autres
inconsidérément, toutes choses qui occasionnent la cherté et la rareté outre que le nombre des femmes qui se
meslent de cette profession est trop grand; à quoy estant nécessaire de remédier à un préjudice aussi
considérable au bien publicq et après avoir murement délibéré avec ledit procureur du Roy et icelluy entendu
en ses conclusions,

REVENDERESSES

Il a esté convenu que le nombre des revenderesses sera réduit au nombre de douze connues pour estre de
bonnes moeurs et tempérées; que les places seront indiquées et marquées sur deux lignes par un gros pavé
sur lequel leur chaise sera posée sans qu'elles puissent se mettre dans celles des autres absentes ou
malades, leur enjoignant d'avoir chacune une mande.
Leur deffendant à l'avenir de se battre et de se servir de parolles salles, à peine de 3 livres d'amende pour
la première fois et d'estre bannies de la Poissonnerie au cas de récidive, sans espérance d'y estre admises à
l'avenir.
Deffense leur est aussy faite d'aller au devant des matelots et matelottes, [et elles ne devront] aller visiter
leur poisson qu'une demye heure après que iceux matelots l'auront posé aux lieux de déchargement, à moins que
les vendeurs ne les appellent pour les visiter et vendre.
Ne pourront chaque revenderesse s'associer pour achetter ny vendre en communs, ny achetter chaque
jour de marchez plus d'un pannier de poisson chacune qu'elles seront tenues vendre et dans une heure
après midy depuis le 1er may jusqu'au 1er octobre et depuis le 1er octobre jusqu'au dernier avril jusqu'à
deux heures aprez midy après lesquelles heures le poisson qu'elles auront sur la Poissonnerie sera
confisqué au profit des pauvres.
Leur deffendons d'achetter aucun poisson d'eau douce qu'il n'ayt esté au moins exposé une heure par les
vendeurs sur les marchez, à peine de confiscation et de 3 francs d'amende;
De n'achetter aucun poisson de mer ny d'eau douce ailleurs que dans les marchez.
Deffendons auxdites revenderesses d'achetter aucun poisson gasté ny celuy que les matelots auront pris le
parti de débiter aux bourgeois, à peine de 20 francs d'amende et d'interdiction.
Leur enjoignons de payer contant le poisson qu'elles achetteront avant de l'enlever du lieu où il sera
exposé, à peine de 3 francs d'amende et d'estre revendu à leurs folles enchères.

VENDEURS

Enjoignons aux vendeurs, en arrivant, d'aller décharger leur poisson scavoir : dans le grand marchez, le
long du parapet de la mare (1) ; dans la petite Poissonnerie, devant et le long du cimetière de Notre-
Dame, et, après avoir déchargé, retireront leurs bestes du marchez.
Nous leur deffendons d'apporter aucun poisson gasté ny de vendre ailleurs que dans les marchez, à peine
de confiscation et de 3 francs d'amende;
De ne mettre de foin et de la paille que ce quy est nécessaire pour couvrir le fond du pannier;
De déclarer aux acheteurs de bonne foy la qualité du poisson quy sera au-dessous pour éviter aux
contestations, à peine de nullitez de marchez et de 20 sous d'amende.
Permis à ceux quy apporteront du poisson et qui voudront le débiter, de le décharger en arrivant aux tables
destinéez pour les étrangers; mais, après l'avoir déchargé, nous leur deffendons de le retirer pour le vendre
en gros, à peine de 3 francs d'amende, et aux revenderesses d'en achetter, sous pareille peine.
Deffense aux estrangers d'enlever aucun poisson que la ville n'en soit fourny à peine de 3 francs d'amende.
Ceux qui auront la permission de fournir des tables aux étrangers seront tenus de les mettre à la suitte de
celles des revenderesses sur une même ligne, et leur deffendons d'exiger plus d'un sol par table et de
prendre du poisson.
Deffense à touttes personnes de jetter dans la Poissonnerie aucune friture, ny cacqure, ny issues de
poisson, à peine de 20 sous d'amende; mais de les emporter avec eux dans leur pannier.
Le lendemain du renouvellement de la magistrature, toutes les revenderesses seront tenues de se présenter
pour renouveller leur serment sur l'exécution des anciens et du présent règlement; et, ce jour là, seront
noméez deux sindicques qui veilleront à l'exécution d'iceux, à qui tous les autres obéiront et qui, dans les
contestations qui arriveront entre elles, en feront leur rapport.
Enjoignons aux mes esgards cuisiniers de visiter tous les jours la Poissonnerie et y remplir leur devoir.
Et sera le présent règlement lu et publié par trois jours consécutifs dans la Poissonnerie.

Fait et arresté au Bureau de l'eschevinage, les jour et an, 27 mars I724.


COMPARUTION DES POISSONNIERS

Du 30e mars 1724 pardevant Mrs les Maïeur et Échevins de cette Ville de Montreuil.

Ce jourd'huy, à la maison de ville, nous avons fait appeller les, nommeez Marie Flahaut, Jeanne Longuet,
Marguerite Deschamps, Marie-jeanne Boucant, Marie Mascaret, Antoinette Breiade, Jeanne Griffonne,
jossette Massette, Claude Libersat, Marie Verdin, Nicole Libersat, Marie Libersat, que nous avons choisy
pour faire les fonctions de. revenderesses de poissons, lesquelles, après lecture à eux faite des règlemens
des 23 et 27 mars présent mois, ont prêté serment d'être fidelles au Roy et à la Ville et d'exécuter lesdits
règlemens et ordonné qu'icelles se placeront ainsy qu'il sera dit cy après : dans la grand Poissonnerie, en
arrivant de la rue du Pot-d'Étain, et, dans la petite, du costé du cimetière de Notre-Dame; en sorte que la
première place sera, droite du costé du Renard (2), marquée d'un grand pavé et sera occupée par Jeanne
Longuet; la seconde par Marie Flahaut, la troisième par Antoinette Briade, la quatrième par Marie-Jeanne
Boucant, la cinquième par Marguerite Deschamps, la sixième par Marie Misquaret, et, sur la gauche, la
première par Claude Libersat, la seconde par Marie Verdin, la troisième par Nicole Libersat, la quatrième
par Jeanne Griffonne, la cinquième par Marie Libersat, la sixième par Jossette Masset.
Et, dans la petite Poissonnerie, la première place à droite ensuite du puy (3) et les autres places dans le
même ordre. que la. grande Poissonnerie sans que lesdites revenderesses puissent à l'avenîr changer, n'est
qu'il en vienne. quelques unes à quitter soit par mort ou autrement, auquel cas celle au dessous prendra ,la
place, ainsi des autres. Et à l'instant a esté nommées pour sindices lesdites Marie Flahaut et Jeanne
Longuet pour l'exécution des anciens et du règlement dudit jour 27 mars et ont signé et fait leurs marques.
Ainsi signé : BOUDOU, DELHOMEL ET COUPIER.

Il y a lieu de croire que ces règlements furent fidèlement observés. Nicole Libersat, convaincue d'y avoir
contrevenu à diverses reprises, s'obstinant non seulement « d'acheter journellement le meilleur poisson qui
peut arriver en cette ville et obliger par là les habitans de l'achetter d'elle au rencher », mais aussi de « les
troubler dans leurs achats ainsi qu'elle a toujours fait et notamment samedy dernier en la servante du sieur
de Belledame qu'elle a même insultée et injuriée », d'avoir en outre à différentes fois mis en vente du «
poisson vieux et puant, pourquoy a esté ordonné qu'icelluy seroit jetté à la rivière », et enfin d'affecter de s'
« opposer en tout ce quy peut se faire concernant la poissonnerie pour le bien publique, ce qui ne part que
d'un esprit remuant et capable de porter les autres à pareilles choses », ladite Libersat, sur les réquisitions
du procureur du Roi, fut « rayée du catalogue des revenderesses » par sentence des maïeur et échevins du
3 août 1724, et remplacée le 17 suivant par Jeanne Leroux, femme d'Antoine Isambourg.
Une nouvelle sentence rendue le 19 octobre 1724, la condamna en 3 livres d'amende
«
pour, au préjudice de ce qu'elle est destituée de sa profession de revenderesse de poissons, s'estre ingérée
d'en achetter et vendre vendredy et samedy dernier au mespris de notre sentence du 3 aoust dernier et des
deffenses a elle faites plusieurs fois, et tant pour son manque de respect et de soumission aux ancien et
nouveaux règlements de police..... Et sur ce que, pendant notre prononciation. la deffenderesse a
impunément déclaré qu'elle persévérerait à en achetter au mespris du règlement et ouï sur ce le procureur du
Roi, Nous lui faisons deffense d'en achetter à peine de 20 livres d'amende et de confiscation du poisson,
s'agissant du bien publicq, et aux despens » (4).

L.-M.-A. BRAQUEHAY.

Notes :
(1) Cette mare a été supprimée vers 1850.
(2) L'hôtel du Renard d' or, encore existant, est mentionné déjà dans un titre des Archives des hospices du mois
d'avril 1396.
(3) Le puits de la place de la Poissonnerie a été comblé en 1851.
(4) Communication de titres due à l'obligeance de M. E. Charpentier.
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Dernière modification de cette page : 11/01/02
Extrait de : "Le cabinet historique de l'Artois et de la Picardie-TomeXIV-07/1887"