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HENOCQ
La petite église d'Hénocq s'élève sur la rive boulonnaise de la Canche, entre Étaples et Montreuil dans
l'ancien diocèse de Thérouanne, sur la frontière de celui d'Amiens.
C'était naguères un curieux petit édifice de l'époque romane; les archéologues l'ont mentionné plus d'une
fois. Depuis vingt-cinq ans environ, le vandalisme inconscient de ceux qui auraient dû veiller à sa sauvegarde lui a, peu à peu, fait perdre tout intérêt.
Lamentable histoire qui se répète, hélas presque chaque jour !
Depuis que mon savant ami C. Enlart (Monuments de l'Architecture romane dans la région Picarde,
p. 2oo) et moi-même (Epigraphie, canton d'Étaples, p. 13) avons protesté contre ces déplorables mutilations, l'église d'Hénocq a encore perdu sa belle cloche de 1598, refondue il y a dix ans, à la veille des circonstances qui allaient permettre de la classer et de la soustraire, bon gré mal gré, à la fantaisie d'administrateurs bornés.
J'extrais de l'article de M. Enlart les lignes suivantes, qui suffiront à donner une idée suffisante de cette
église :
« Elle formait un rectangle (1) de 23m de long sur 4m20 de large dans oeuvre. I,es murs, bâtis partie en
grés, partie en cailloux de silex noyés dans un mortier abondant et excellent, avaient 1m2o d'épaisseur sur une hauteur de 4m20 environ. Des contreforts très peu saillants divisaient l'édifice en cinq travées éclairées de très étroites fenêtres en plein cintre à encadrement de craie blanche taillée, avec arête abattue (2). Une fenêtre un peu plus grande (1m8o de haut sur 0m50 de large) s'ouvrait dans le mur du chevet. Son cintre est composé de six claveaux sans clef, et encadré d'une archivolte (3) en tore déprimé, semblable à celles des fenêtres septentrionales de la nef de Lillers et des baies du clocher d'Allouagne (diocèse d'Arras).
« Le pignon occidental était percé à la base de quatre portes égales en plein cintre et sans nul ornement,
grossièrement construites en grés. Ces ouvertures avaient été murées. Elles devaient donner accès dans un narthex, et non dans un porche, car le pignon occidental avait la même hauteur et le même appareil que celui de l'Est jusqu'en 1884 (4), ce pignon et le mur sud du narthex étaient conservés et masquaient heureusement un misérable mur de refend, qui sert de façade à l'église raccourcie après la Révolution. En 1887 (4), le curé et les fabriciens d'Enocq ont employé leurs économies à détruire ces restes intéressants et encore très solides. Cette oeuvre stupide a été accomplie sans qu'aucun dessin ait été fait Pour garder le souvenir de ces pans de murs curieux et pittoresques. L'église d'Enocq n'a jamais été voûtée avant le début du XVIe siècle (5)- Une travée (6) de voûtes d'ogives retombant sur des colonnettes et sur des culots fut alors établie sur le sanctuaire; elle est extrêmement basse et d'un effet fort original.
« La seule moulure romane (7) qui peut-être ait existé dans cette église a son équivalent dans des
monuments de la région qui appartiennent au. second quart du XIIe siècle. L'arète coupée des fenêtres indique également que l'église d'Enocq n'est pas antérieure à ce siècle (8). »
Je n'aurais même pas eu l'idée de revenir sur ce sujet, bien complètement traité, si les archives de la
Commission ne contenaient justement une jolie vue de l'église d'Hénocq, prise par Achille Germain avant les travaux qui l'ont défigurée.
On peut regretter, cependant, que le dessinateur n'ait guère été archéologue; il a rendu plutôt l'aspect
général, si pittoresque, de la pauvre églisette, que ses caractères architectoniques. Le narthex (9), à demi ruiné, enseveli sous les lierres grimpants, est indistinct et vague. Les petites fenêtres en plein cintre de la nef. irrégulièrement percées et dépourvues d'archivoltes, sont plus visibles.
Quoiqu'il en soit, la publication de ce dessin répond à un regret exprimé par C. Enlart, et il me semble
que ce charmant croquis a sa place tout indiquée dans le Bulletin de la Commission.
POST-SCRIPTUM. - Un jeune chercheur montreuillois, aussi modeste que laborieux, M. A.
Dautricourt, me communique un intéressant extrait d'un registre aux délibérations municipales de Brexent- Hénocq, contenant des détails assez curieux sur les deux églises de cette paroisse.
Ces notes ont été rédigées vers 1789-1790. Elles sont conçues de telle façon que le lecteur pourrait
croire que le choeur d'Hénocq a été rebâti en 1773, alors que, sans aucun doute, il est antérieur de six cents ans à cette époque. La date 1773 est sans doute celle d'une restauration, d'ailleurs peu importante.
Quant au choeur de Brexent, il date bien de I774 comme l'indique le texte
REGISTRE AUX DÉLIBÉRATIONS MUNICIPALES DE BREXENT
« Les titres du seigneur prouvent que l'église d'Énocq existait en 1383. Elle est sous l'invocation de la Ste
Vierge, comme la succursalle ou secours de celle de Brequessent, quoique tout semble prouver qu'elle est beaucoup plus ancienne que cette dernière et était l'église principale par son personnat, l'office principal qui s'y célèbre privativement à Brequessent les quatre grandes fêtes de l'année et l'ancienneté de son existence que l'on voit par les terres (sic) remonter au XIVe siècle. Du reste l'église d'Énocq est encore en très bon état par les réparations d'entretien que l'on a soin d'y faire. Le choeur a été reconstruit et rebény en 1773 et achevé de décorer en 1774 (Gros registre, acte n° 269).
« L'église de Brexent, où est le presbitaire en face de l'église, lequel est nouvellement rétably et a 3o
pieds de face sans élévation, mais le mode est honnête, sinon mal placé pour la salubrité et en très-bon état; le choeur en ayant été reconstruit à neuf et décoré en 1774 par le ci-devant seigneur gros décimateur inféodé de ladite paroisse et le reste de l'église très-bien réparé ; elle est dédiée à St Brice et regardée depuis longtemps comme la principale église..... En 1475 la dite église de Brexent a fourny aveu de ses quatre pièces en fief à l'abbaye de Ste Austreberthe, ce qui peut faire présumer que les deux églises ont toujours été paroisses séparément ». (Ibid.).
Notes :
(1) Le chevet droit est, sans une seule exception à moi connue, de règle dans les églises rurales de l'époque
romane en Boulonnais (Elinghem, Bazinghem, Peuplingues, etc.). Il y devient très rare après le XIIIe siècle. C'est exactement le contraire de ce qui s'observe dans la plus grande partie de la France, où les choeurs romans se terminent par une abside et les choeurs gothiques par un chevet rectangulaire. Cf. Buhot de Kersers, Statistique monumentale du Cher, t. III, p. 153.
(2) Ces petites fenêtres sont remplacées aujourd'hui par d'affreuses ouvertures carrées, percées en 1882.
(3) M. Enlart emploie ici, et il a grandement raison, le mot archivolte dans son acception traditionnelle.
L'archivolte est une moulure saillante, surmontant et abritant une arcade. Beaucoup d'archéologues modernes entendent maintenant, par archivoite, l'arcade elle-même, ou sa voussure, ce qui prête à mille confusions. Il est à souhaiter que ce terme du vocabulaire archéologique soit fixé une bonne fois.
(4) Lisez 1882.
(5) Est-ce,bien sûr? La voûte actuelle est certainement de cette époque mais, d'une part, les deux travées
du choeur sont séparées au dehors par un contrefort primitif, ce qui semble bien indiquer l'existence d'une voûte dès l'origine de l'église; puis, des six supports des nervures, cinq paraissent bien remonter à l'ère romane. Je ne crois pas possible d'attribuer au XVIe siècle ces figures grotesques, variées et bizarres : l'une soutient sa tête des deux mains , une autre roule des yeux affreusement torves ; une troisième est coiffée d'un voile carré sur le front, encadrant tout le visage, aveq une bande passant sur le nez; une quatrième a des oreilles d'âne. Le sixième support, seul, est une colonnette trapue dont le chapiteau à corps de moulures accuse bien le XVIe siècle, comme le doubleau et les ogives de la voûte. Il n'y a pas de formerets.
(6) Deux travées.
(7) Cette moulure d'archivolte a été abattue en même temps que l'on détruisait la partie occidentale de
l'église.
(8) Le mobilier de l'église d'Hénocq n'a pas été moins saccagé que l'édifice lui-même. La pierre tombale
de Guy de Thubeauville (1617) est détruite la cloche (1598) est refondue. J'ai vu en 1900, dans le grenier, un groupe en chêne, de sainte Anne, du XVIe siècle, qui n'était pas sans intérêt : la bonne aïeule, assise, enseignait à lire à la Vierge, à ces deux statues gothiques, on avait ajouté après coup, sur le bras gauche de sainte Anne, un petit jésus de style rococo, drôlement contourné, et d'autant plus curieux que sa mère était représentée sous les traits d'une enfant de huit à dix ans. Près de là gisait une belle tête de Vierge en pierre peinte (XVe siècle), diadémée et voilée, attendant la destruction prochaine. De ce naufrage, j'ai sauvé les débris d'un saint Roch en terre cuite (XVIIIe siècle), de grande taille, avec son ange et son chien; ce spécimen de la fabrication des potiers de Sorrus a pu être reconstitué et orne aujourd'hui le Musée de la Commission.
Le toit de tuiles délabrées, qui s'harmonisait avec la caducité de la pauvre église, a
été remplacé en 1900 par une couverture d'ardoises. Bref, on voit si j'avais le droit d'écrire en 1902 : « Cette petite église était naguère une des plus curieuses du pays et sa position dans un hameau perdu et misérable semblait la mettre à l'abri des abominables restaurations modernes il n'en a rien été; des travaux absolument stupides lui ont enlevé tout son caractère ».
(4) On sait que d'aucuns y avaient vu (à tort d'ailleurs) les restes d'un temple de Diane.
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Lithographie et texte extraits des "Mémoires de la Commission Départementale
des Monuments Historiques du Pas-de-Calais - Tome III - 1ère livraison - 1910. |
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Dernière modification de cette page : 22/07/01
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