Extrait de « Montreuil dans l' histoire », Auguste BRAQUEHAY, Oeuvres posthumes, 1907.
La Bretagne au pays de Montreuil-sur-Mer
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Le fait historique le plus ancien qui rattache le pays de Montreuil-sur-Mer à la vieille Armorique,
c'est l'arrivée dans cette partie du ponthieu, du second fils du roi de Bretagne Juthael, Josse ou Judoce, fuyant le pouvoir que lui ofirait Judicael, son frère ainé, à la mort de leur père.
Le duc Haymon gouvernait alors le Ponthieu. Il accueillit Josse avec faveur, et reconnaissant
en lui un grand fond de piété, il lui persuada de recevoir l' ordre de la prêtrise. Au moment de quitter la Bretagne, Josse avait été fait clerc par l'évêque d'Avranches. Il suivit ce conseil et Haymon lui donna une chapelle.
Mais Josse désirait se consacrer plus complètement encore à Dieu et après sept ans de
séjour auprès du duc, il obtenait de son bienfaiteur un lieu de retraite que le légendaire dénomme Brahic et qu'on croit être le village de Raye (1) où l'abbaye d'Honnecourt, du diocèse de Cambrai, établit plus tard un prieuré. Cependant les vertus de Josse attiraient la foule dans ce bois solitaire. Haymon lui soncéda àRumac un nouveau terrain où il bâtit une chapelle sous le vocable de Saint Martin et qui après bien des siècles devint l'abbaye de Saint-Josse-au-Bois ou de Dommartin, de l' ordre des Prémontrés (2).
Le même motif qui l'avait forcé de quitter Brahic devait l'amener àse retirer de Rumac, et ce fut
alors qu'au bout de treize ans, il venait enfin s'établir définitivement dans un lieu dont le site sous plus d'un rapport lui rappelait le sol natal. Il y acheva ses jours vers l' an 608 (3). Sur l'emplacement de sa retraite s'éleva un hospice, que remplaça la célèbre abbaye dite de Saint.Josse-sur-Mer qu'administra un instant le grand Alcuin. Cette abbaye donna naissance au village de Saint-Josse-sur-Mer (4). Chaque année, le jour de la Trinité, de fervents pélerins y accourent de toute parts pour se mettre sous l'égide du saint breton, protecteur du Ponthieu, dont les restes reposent dans l'église paroissiale depuis la suppression de l'abbaye survenue un certain nombre d'année avant la Révolution (5).
La Basse-Ville de Montreuil possède encore une église dite de Saint-Josse-au-Val, qui, si l'on
en croit certaine tradition, occuperait l'emplacement d'un ermitage du saint (6). D'après une charte de 1042du roi Henri I, elle dépendait ainsi qu'une autre église située au dehors de l'enceinte et placée sous le même vocable, de l'abbaye de Saint Saulve à Montreuil, à laquelle leur autel avait été donné par Hugues Capet (7), ce que reconnurent le pape Innocent II, le 6 des Calendes d'avril 1143, et Anastase IV le 8 des Calendes de mai 1154 (8).
Ce ne sont pas là les seuls liens qui unissent le pays de Montreuil à. la Bretagne. Lorsqu'au
IXème siècle, les Normands menaçaient si souvent le littoral, un comte de Ponthieu, Hilgold, résolut de leur barrer le passage de la vallée de la Gauche par l'érection, sur la colline où est assis Montreuil, d'une place forte qui remplaçait l'ancien poste romain que les invasions des Barbares avaient laissé tomber en ruines. Un hospice ou lieu de refuge, mis sous le vocable de Saint Saulve, évêque d'Amiens, était placé au centre. Autour s'étaient groupées de nombreuses habitations : un fait bien imprévu en fit une abbaye qui pendant de longs siècles était destinée à tenir un rang brillant dans les annales religieuses de la contrée.
Dans une charte de l'an 1000, il est rapporté que s'exilant de la Bretagne livrée aux ravages
des hommes du Nord, un évêque du nom de Clément, accompagné d'un abbé appelé Benoit et de quelques moines, clercs et laïcs, voguait vers la Grande Bretagne emportant avec lui les restes vénérés de Saint Guennolé, fondateur de l' antique abbaye de Landevenec, quand, poussée sans doute par un vent contraire, la barque qui le portait vint atterrir sur la plage du Ponthieu. En vertu du droit de lagan, tout étranger jeté à la côte par une tempête, était emprisonné et mis à rançon. Mais loin d'agir avec cette rigueur, le comte Hilgold qui ne désirait rien tant que la prospérité de Montreuil, accueillit avec empressement ces malheureux voyageurs. il les retînt près de lui, les comblant de ses bienfaits, il leur donna en toute franchise la terre de Cavron près d'Hesdin, et avec le plus grand respect, déposa les reliques de Saint Guennolé dans le trésor de l'église abbatiale de Saint Saulve qu'il venait d'édifier avec une extrême magnificence.
La présence de ces reliques causa parmi les populations une extrême ferveur. L'abbaye ne fut
plus désigné que sous le nom de Winvalois dont la langue picarde fit Waloy. Dans la charte de l'an 1000 par laquelle il appelle à son aide le comte d'Hesdin Alulfe, à l'effet de garder sa terre et seigneurie de Cavron, Rameric, abbé de Saint Saulve, s'intitule Ecclesiae Beati Winwaloloei in Monsterolo humilis minister. L'acte est passé in Coenobio Sancti Winwaloloei apud castrum Monsleriolum (9). Enfin il résulte d'une autre cbarte de Gui I, comte de Ponthieu, datée de Rue de l'an 1100 que ce dernier accorde droit de justice aux religieux de Saint—Saulve et de Saint Guennolé ou Waloy : coenobio in villa dicta Monsterolo sanctorum Christi con fessorum Salvii et Wingvaloei et aliorum sanctorum meritis et ossibus insignito (10).
Un fragment de charte du comte Gui mentionné dans un vieil inventaire des anciennes archives
de Montreuil constatait que l'abbaye de Saint-Saulve était nommée indifféremment Saint-Saulve ou Saint-Waloy (11) c'est encore sous cette dernière domination que le roi Henri I, confirme en 1042 l'abbaye de Saint-Saulve dans ses possessions. Cependant, dès cette époque, il semble que tout en conservant les reliques de Saint Waloy, les religieux tendaient à replacer leur monastère sous son ancien vocable, car là déjà est rélatée l'existence d' une église paroissiale de Saint Waloy qu'ils avaient fait construire sans doute pour s'affranchir de l'obligation de recevoIr les fidèles à leurs offices. Cette église formait enclave dans leur monastère. Détruit pendant la Révolution, son emplacement forme ce qu'on appelle l' impasse Saint Waloy donnant sur la place Saint Waloy à laquelle conduit la rue Saint- Waloy.
L'abbaye de Saint-Saulve perdit peu à peu ce dernier vocable, vraisemblement à la suite de la
translation en 1111 du corps de St-Saulve par Saint Geoffroy, évêque d'Amiens (12).
Le culte de Saint Waloy ne cessa pas moins d'être des plus suivis. D'après le Formulaire
municipal de la ville de Montreuil, rédigé en 1435, chaque année le dimanche qui suivait la fête de la Saint Walloy, le corps de ce Saint, précédé des mayeurs et échevins et des banniéres des corporations et confréries, était solennellement porté de l'église Saint Saulve à la « viéserie » située au dehors de la ville, dans la paroisse Saint Justin, au champ appelé aussi la Fosse Saint Waloy. Là, le panégyrique du saint était prononcé aux frais des moines de Saint Saulve, puis la châsse du Saint était reportéeavec le même cérémonial au monastère (13).
Les religieux ne se dessaisirent que diflicilement de leur saint dépôt. Le 27 avril 1462, Jehan
Postel, curé de Saint Waloy, Guillaume Godefroy, Jehan Caulier et Jehan de Toutendal, marguilliers de la paroisse, reconnaissent par devant les mayeur et échevins de Montreuil que c'est par pure courtoisie que les moines de Saint Saulve leur prêtant la châsse de Saint Waloy pour être exposée en leur église le jour de sa fête du matin jusqu'après les vêpres, et qu'eux, religieux, ne sont nullement tenus de l'accompagner processionnellement à la sortie comme au retour (14).
Le 14 mai 1495, Pierre Versé, évêque d'Amiens, sur la demande de Guillaume de la Pasture,
abbé de Saint Saulve, procéda à la translation dans une nouvelle châsse des restes de Saint Waloy. Cette cérémonie eut lieu en présence des abbés de Saint Josse-sur-Mer et de Longvilliers et de l'abbesse de Sainte-Austreberthe à Montreuil. Le panégyrique du Saint fut. prononcé par Pierre Legier, du couvent des Augustins d'Amiens. Une inscription trouvée dans l'ancienne châsse et ainsi conçue : Reliquiae S. Winicaloei confessoris et abbatis, fut replacée dans la nouvelle (15) qui était de bois revêtu d'argent.
Les principales actions du saint étaient représentées d'après les manuscrits que conservait
l'abbaye de Montreuil.
Le séminaire fondé à Montreuil en 1087 par Jean Bermon, successeur de Jacques de Boves,
et où professa quelque temps Claude Capperonnier que ses travaux ont rendu célèbre, fut mis sous le vocable de Saint-Waloy. Les paroisses de Cavron et de Beaurnerie près Montreuil, reconnues les plus anciennes possessions de l'a b baye de Saint—Saulve, le sont également. Enfin si la châsse du Saint fut détruite sous la Révolution, quelques-unes des reliques qu'elle renfermait ne continuent pas moins d'être conservées dans l'église Saint-Saulve devenue paroissiale (16).
Saint Waloy n'était pas le seul saint breton dont le trésor de l'abbaye de Montreuil conservait le
corps. Ubin. son disciple, y avait sa châsse « revêtue d'une lame d'argent avec des figures en argent(17).» Il en était aussi de même pour les saints Corentin et Conoken, évêques de Quiniper, et le célèbre évêque d'Aleth, Malo ou Maclou.
Malbrancq donne une description des plus curieuses de la châsse de Saint Corentin qui était
aussi d'argent. Toutes les principales phases de la vie de ce personnage s'y trouvaient reproduites d'après les légendes manuscrites de la bibliothèque de l'abbaye des Bénédictins de Montreuil. Un bas- relief le montrait vivant solitaire au milieu des bois. Un autre tirant de l'eau un poisson qu'il coupe en deux. Un troisième, tenant une moitié du poisson du côté de la tête, il l'offre àun roi tandis que le corps entier sort en nageant de l'eau. Ces diverses scènes rappellent quelques épisodes de la légende de saint Corentin d'après les anciens manuscrits de Montreuil. A la suite d'une longue course dans la forêt de Menner, le roi Grallon et son cortège souffraient d'une faim et d'une soif inaccoutumée, quand apercevant la retraite de Corentin, il lui demanda s'il n'avait pas sous la main quelque nourriture ou quelque boisson. «Oui, dit le saint. Un poisson nage dans une fontaine, mais un seul. Incontinent il le coupe en deux, en présente la moitié au Roi et rend l'autre à l'eau. Chose étonnante àdire, raconte le légendaire, la moitié du poisson avec l'eau de la fontaine fournirent au Roi et à toute sa suite un excellent repas, et quand ils eurent mangé, revenus à la fontaine, ils admirèrent le poisson qui y nageait avec sa tête, sa queue et son corps tout entier. Le bruit de ce miracle se répandit dans toute la Cornouaille. Le roi émerveillé fit sortir Corentin de sa retraite, il le combla de ses largesses et lui donna un monastère autour duquel se forma la ville de Quimper. Un bas relief représentait Corentin exhortant du haut d'une chaire une multitude frappée d'étonnement. Dans un autre, coiffé de la mitre, il répandait une bourse, ce qui indiquait que les richesses que l'évêque reçut de Grallon et des autres furent consacrées non àson usage personnel, mais. aux besoins des pauvres et des temples. Enfin, une série d'autres scènes vous reportait au temps des invasions Normandes, lorsque les Bretons confièrent le corps de saint Corentin à la place forte de Montreuil (18).
La châsse de Saint-Corentin renfermait aussi les restes de Saint-Conoken sur lequel, d'après
Malbrancq, les chroniques manuscrites, de Montreuil ne contenaient aucun détail particulier (19). Elle datait ainsi que celle de Saint-Etbin, de la translation faite le 13 juin 1424 par Jean de Harcourt, évêque d'Amiens, en présence des abbés de Saint-André aux Bois, de Saint Josse-sur-Mer, de Dommartin, de Forestmontiers et de Longvilliers (20).
Mais de tous les saints dont les corps avaient été confiés par la Bretagne aux Montreuillois, le
plus populaire était sûrement pour eux saint-Malo ou Maclou, évêque d'Aleth, dont ils avaient fait le patron de leur cité. Ses reliques consistaient en quatre ossements conservés dans une châsse de cuivre couverte de figures d'argent, et en son chef enfermé dans un buste d'évêque aussi en argent (21). Elles forment l'objet d'un véritable culte pour la population.
A Montreuil la foire dite de Saint Maclou remontait à l'époque de la translation des reliques de ce
saint à l'abbaye de Saint-Saulve, c'est-à-dire au temps du comte Hilgold; elle fut établie par l'abbaye, et à son profit à la porte de l'église.
Il y avait encore à Montreuil, outre cette foire; le landit de Saint Maclou, qui se tenait à
Beaumerie, dans un champ de l'abbaye nommé le Champ ou Markiet Saint Macleu. L' origine est la même, mais la foire dure encore, et l'on ne saurait assigner d'époque à la suppression du landit.
Une ordonnance du 6 mai 1838 a confirmé la foire pour huit jours (22). Au Moyen Age la foire de Saint
Maclou attirait de nombreux étrangers. On y venait de la Champagne, de la Normandie et de la Brie. Elle donnait lieu aussi à de grandes manifestations religieuses, ce qui n'était point une des moindres causes de sa prospérité.
Le formulaire municipal rédigé en 1435, nous apprend qu'un jour ou deux avant la fête de saint
Maclou, les moines de Saint Saulve venaient trouver les membres de l'échevinage pour leur demander le prêt d'une tente et d'une place sur le grand marché, afin d'y déposer le corps dudit saint Macleu. " Cette autorisation leur était toujours accordée. Alors, le jour de la fête venu, la châsse vénérée précédée de toutes les bannières de la ghilde marchande et des confréries était portée en grande pompe au lieu désigné. L'éloge du saint était prononcé par quelque religieux aux frais de l'abbaye de Saint Saulve, puis après le chant des vêpres auxquelles mayeur et échevins assistaient en corps, les restes du saint étaient rapportés avec le même cérémonial à l'abbatiale et replacés dans la chapelle du trésor en présence des mayeur et échevins de la ville de Waben aux environs de laquelle vraisemblablement étaient venus échouer au temps du comte Hilgold, le vaisseau portant les reliques des saints bretons. A cette occasion les membres de l'échevinage de Waben venaient " saluer messeigneurs de la ville " de Montreuil, lesquels avaient coutume de leur " faire présent de quatre quennes de vin. "
D'après ce qui précède, Saint Waloy et Saint-Maclou étaient pour la population de Montreuil l'objet d'un
culte particulier. Ils avaient également eu leur large part aux grandes solennités que la Pentecôte ramenait chaque année et dont cette fois l'échevinage prenait l'initiative.
La semaine qui précédait cette fête, les mayeur et échevins faisaient publier à la Muette que
durant les fêtes de la Pentecôte et pendant que les « corps saints sont mis jus », c'est-à-dire seraient sortis de la chapelle du trésor, les prisonniers jouiraient de tout liberté, et que les criminels et les bannis pourraient entrer à Montreuil et en sortir sans crainte parce qu'il y avait alors foire et franche fête. En même temps, ils prévenaient le prieur des Carmes et ses religieux que le jour de la Pentecôte et pendant toute la semaine, à six heures du soir et y compris le jour de la Trinité, il eussent, moyennant vingt sols chaque fois, à prononcer le panégyrique des saints. Le mardi la châsse, et le buste de Saint Maclou, entouré des membres de l'èchevinage et de la ghilde marchande étaient solennellement portés àl'âtre de saint Justin en dehors de la ville où était donné le sermon. Et chaque jour à 4 heures, au son de la Moisnelle ou moyenne cloche, avait lieu le relevage du poste composé d'un échevin, d'un prevot et d'un membre de la ghilde chargé de la garde des corps saints exposés sur la place prés « du flos Saint Sauve. »
Le lundi de la Trinité, sur l'invitation qui leur en était faite par les religieux les mayeurs et les
échevins après avoir entendu la messe, assistaient à la remise des châsses dans le trésor. Eux mêmes rapportaient dans la chapelle des Arbalétriers la Statue de Notre-Darne qui, avec les corps saints était exposés dans une tente dressée à cet effet, et après échange de politesse avec les moines, ils retournaient ensuite à l'échevinage pour faire < publier à la Muette que la Franchise de Pentecouste est saillie (23). »
Ces détails montrent assez quelle ferveur, les saints bretons inspiraient aux Montreuillois. Les
châsses qui contenaient leurs restes ont été détruites sous la Terreur, mais ceux-ci en partie tout au moins, ont échappé à l'auto da fé qu'en fit le représentant André Dumont (24). Ils reposent dans de nouvelles châsses et chaque année encore à la Pentecôte, ils sont l'objet de la vénération des fidèles.
Les relations de Montreuil avec la Bretagne ne se bornaient pas àla possession de ces reliques. Chaque
année, au Moyen Age. un certain nombre de ses habitants se rendaient en pèlerinage à l'un de ses plus célèbres monastères, celui du Mont Saint-Michel.
La plus ancienne église de Montreuil était dédiée à Saint-Michel. Certaine tradition veut qu'elle
remplaça un temple païen très fréquenté et dont il aurait été retrouvé des traces sur la Place de la Poissonnerie. Elle disparut lors de l'érection vers le XIe siècle de l'église Notre-Dame en Darnetal qu'une ruelle fort étroite ne devait que séparer d'elle. Toutefois sa cure ne fut point supprimée et à partir de ce moment jusqu'à la Révolution, Ntre Dame eut deux curés dont les droits étaient absolument égaux. Une confrérie de Saint-Michel établie de temps immémorial dans l'église Notre Dame en Darnetal, nous reporte sûrement à cette époque lointaine.
Tous les ans vers la mi-septembre, un groupe de Montreuillois entreprenait son pèlerinage au
Mont Saint-Michel. Ils partaient avec un laissez passer du mayeur, chargés de coquilles, portant le bourdon et la panetière et vivaient d'aumônes pendant le voyage. Lorsqu'ils revenaient, les paroissiens de Notre Dame, précédés du curé de St-Michel allaient à la rencontre hors des portes de la ville.
Semblable confrérie et pareils usages se retrouvent à l'église Notre-Dame du Châtel à Abbeville.
Louandre, dans son histoire si estimée de cette ville, pense que ces pélerins étaient dans l'origine de nouveaux mariés qui se laisaient scrupule d'habiter avec leurs femmes avant d'avoir visité le rocher de saint Archange. Ce rocher, dit-il, fut habité par des prêtresses gauloises auxquelles les jeunes gens faisaient offrande de leur virginité. Certaines pratiques, dans le XIVe siècle, y décelaient encore plus d'un usage profane, et comme l' église Notre-Dame du Châtel était aussi bien que 1'ég1ise Notre-Dame en Darnetal à Montreuil, la plus ancienne d'Abbeville et qu'une tradition voulait également qu'elle eût été élevée sur 1'emplacement d'un temple païen, avec cet historien nous inclinerions à croire que le pélerinage de Saint Michel se rattachait au culte de la divinité qu'on y honorait avant la Vierge (25). Ce ne seraient point là du reste les seuls vestiges des croyances celtiques que la tradition et parfois des documents révélant à Montreuil et dans ses environs, ne citerait-on que la dénomination aux environs des églises disparues de Saint-Michel et de Notre Dame en Darnetal à Montreuil, du la rue dite du chêne Notre-Dame. Une personne très âgée nous racontait dans notre jeune enfance que dans les fossés de l'enceinte primitive de Montreuil des fées qui en Bretagne prennent le nom de Korrigans ou Korils exécutaient chaque soir une ronde effrenée au chant de lundi, mardi, mercredi, etc. que Meyerbeer et après ce maître, l'organiste Widor ont mise au théâtre. Enfin sur la limite même de l'ancienne banlieue de Montreuil, près du Mont-à-flos-Tanfol, d'après les vieilles chartes et vers Brimeux où nos géographes placent le Lintomagus de la carte de Peutinger (26) on voit encore un grand cercle que quelques pierres entouraient il y a relativement peu d'années.
Avant d'achever ce mémoire composé à l'aide de traditions du pays et surtout de
renseignements, extraits de documents exclusivement picards, ajoutons que des recherches plus étendues nous eussent sans doute amené à établir que les relations de Montreuil avec la Bretagne ne furent pas seulement religieuses, niais encore commerciales. Ce fut pour s'être refusé d'acquitter certaine redevance au péage de Bapaume pour « deux fardeaux de thoiles ou canevas de Bretagne allant en Flandre » qu'un nommé Tassart le Devin, bourgeois et habitant de la dite ville de Monstereul » fut mis en état d'arrestation à «Arras ou assez près, » et qu'intervint un accord passé à Lille le 29 juin 1394 entre Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, et « les maires, esehevins, bourgeois, et habitans de Monstereul » à la Suite duquel Tanart rentra en possession de ses marchandises (27). Des mémoires de l'intendant de Picardie Bignon, constatent qu'à la fin du XVIIe siècle les récoltes de chanvre effectuées aux environs de Montreuil etaient expediées du port d' Etaples en Bretagne (28). Enfin, il résulte d'un rapport du chevalier de Clerville à Louis XIV qu'au milieu de ce siècle, alors que la Canche était encore navigable jusqu'à Montreuil, «des bois à bastir des navires » provenant des forêts de Hesdin, Crécy et Beaurain étaient de cette ville transportés par cette voie à Boulogne d'où ils étaient ensuite envoyés en Normandie et en Bretagne (29). »
Ces quelques détails suggéreraient aux savants historiens de la Bretagne l'idée de diriger leurs
recherches sur les rapports que leur province entretenait avec la Picardie et les pays du Nord, que nous considérerions notre but comme complètement atteint.
Montreuil-sur-Mer, 31 Mai 1896.
Notes :
(1) Raye. commune de l' arrondissement de Montreuil,
(2) Saint-Josse-au-Bois dépendance de Tortefontaine. commune de l' arrondissement de Montreuil. V sur cette abbaye, Gallia
Christiana, X le chanoine Parenty. Notice historique sur l' abbaye de Saint-Josse-au-Bois, ap. Le Puits Artésien, 1841 et baron de Calonne, Histoire de l' abbaye de Saint-Josse-au-Bois.
(3) Acta Sanctorum, ap. les Bollandistes et Malbrancq, De Morinis, I Abelly, La vie de Saint Josse prince de Bretagne.
(4) Commune du canton de Montreuil-sur-Mer.
(5) Abelly, op. cit. et l' abbé Robitaille, vie de Saint Josse. prêtre et patron du Ponthieu, suivi de son pélerinage à Saint-Josse-sur-
Mer. 1867.
(6) Louandre, Hist. d' Abbeville et du comté de Ponthieu, II, 301.
(7) Dom Bouquet. Recueil des Historiens des Gaules et de la France XI 574.
(8) Cartulaire de Saint Saulve.
(9) Gallia, X et Hennebert, hist. générale de l' Artois , I.
(10) Cartulaire de Saint-Saulve.
(11) Comte de Marsy, Un ancien inventaire des titres titres Archives de Montreuil.
(12) Gallia et Chanoine Parenty. Notice historique sur l'abbaye de Saint-Saulve ap. la Gazette de Flandre et de l'Artois 1840.
(13) Bibliothèque M. Ch. Hennegnier. Livre de ta Fourme ms.
(14) Cartulaire de Saint Saulve.
(15) Bollandites, Acta sanctorum, III, Martii 247.8.
(16)Bulletin de la Commission des antiquités du P. de C. v. 243.
(17) Ibidem, v. 244
(18) Malbrancq. De Morinis, I, 153-6.
(19)Ibidem, 489-90.
(20) Gallia, X, et Soyez, Notices sur les évêques d'Amiens. 118.
(21)De Morinis, 1,270 et Bulletin de la Commission des Antiquités du Pas-de-Calais. IV, 244.
(22)Louandre, Histoire d' Abbeville et du comté de Ponthieu, Il, 386, Bon de Calonne, Dict. hist. et archéol. du Pas-de-
Calais, Montreuil, 313 et 353.
(23)Livre de la Fourme, ms. Précité.
(24) Bulletin de la Commission des Antiquités du Pas-de-Calais, V, 212-3.
(25) Baron de Calonne, op. cit. 376 et Louandre. Histoire d'Abbeville et du Comte de Ponthieu, II 436-7.
(26) Desjardins, géogr. des goules.
(27) Cartulaire de Montreuil.
(28) Ms ds la Bibliothèque de Boulogne-sur-Mer.
(29) Rapport du chevalier de Clerville sur les ports de la Picardie, coll. Colbart. cité par Fl. Lefils, ap. hist. de Montreuil,
292.
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